Voici le livre par lequel le scandale arrive : « Sexus politicus » (Albin Michel). Christophe Deloire, journaliste au Point, et Christophe Dubois, du Parisien, ont enquêté sur les moeurs de nos hommes et femmes politiques. Décapant.
Christophe Ono-dit-Biot
Pour la première fois, à 250 jours de l'élection présidentielle, deux journalistes osent aborder de front la question du sexe en politique. On savait, depuis Kissinger, la nature aphrodisiaque du pouvoir. On savait, depuis Louis XV, le rôle des maîtresses dans les décisions politiques et, depuis Bill Clinton, le danger des liaisons extraconjugales pour les carrières le mieux assurées. Oui, mais qu'en est-il aujourd'hui, dans la France de Chirac et de Houellebecq ? « Sexus politicus » fait tomber le dernier tabou. Obsession de la séduction, ballets roses, espionnage sur canapé : l'enquête menée par Christophe Deloire et Christophe Dubois ne passe rien sous silence. Mieux, plusieurs personnages de haut rang, parmi lesquels d'anciens Premiers ministres, brisent officiellement le tabou. D'aucuns diront, et peut-être à raison, que ce domaine relève de la vie privée. Certes, mais quand celle-ci déborde sur la vie publique, au point d'influencer la vie de la cité ? Quand les candidats eux-mêmes avancent à longueur de temps que « les Français veulent savoir qui ils élisent » ? Et doit-on encore garder le silence quand on s'aperçoit que des officines au service de l'Etat enquêtent sur la vie intime pour mieux s'en servir et déstabiliser ceux qui en sont l'objet ? Le Point publie, en exclusivité, les extraits de cette enquête impitoyable. Et lance aujourd'hui le débat Christophe Ono-dit-Biot
Tentations parlementaires
« En 1981, la "vague rose" a bien porté son nom. "Des députés débarqués de leur province en 1981 sont tombés dans le chaudron de la vie parisienne", s'amuse un habitué du Palais-Bourbon. L'un d'eux, qui fera parler de lui dans des affaires judiciaires quelques années plus tard, une fois devenu ministre, était même tombé amoureux d'une prostituée rencontrée dans une boîte, Le Milliardaire. Comme sa femme se doutait que la Ville lumière l'avait ébloui, ce député avait une technique pour lui donner des gages de sérieux. Lors des séances de nuit, il faisait une courte apparition aux débats, hurlait à la cantonade des propos sans intérêt, du genre "Scandaleux !" ou "Formidable !", et attendait que les greffiers notent dans leur verbatim : "Cris de monsieur Untel." L'auguste parlementaire pouvait alors reprendre ses ébats et montrer ensuite des retranscriptions incontestables à son épouse. »
Une femme entre Rocard et Mitterrand
« Au recto de sa carte de visite, à côté du dessin d'une rose, il est écrit : "Mme Evelyne Christ-Dassas, conseil en relation publique et humaine". Au verso, son portrait est dardé de rayons. Petite mention en bleu : "Etre le soleil de l'autre". Tout un programme. Présidente de l'association Conscience et Présence, censée réunir toutes les appartenances philosophiques, religieuses et spirituelles, cette jolie amatrice d'ésotérisme raconte sans fausse pudeur avoir connu quelques hommes politiques. En 1960, elle fréquente le Conservatoire. Sur un trottoir, deux hommes lui "disent des bêtises" pour la draguer. Roland Dumas est l'un d'eux. En 1970, elle fait, dit-elle, la rencontre de François Mitterrand par l'entremise de Roger Hanin. La jeune femme est "interpellée, mais pas séduite, car il est très autoritaire". Néanmoins, quelques années plus tard, Evelyne Dassas a un "échange rapproché" avec le premier secrétaire du Parti socialiste. En 1987, alors qu'elle n'a pas vu le président depuis trois ans, elle lui demande rendez-vous. "J'ai apporté trois cristaux en cadeau à Mitterrand, pour les trois années sans nouvelles. Puis je lui ai dit : 'Vous savez sans doute avec qui je suis depuis quelque temps.' Il m'a répondu : 'Non.' Je lui ai dit : 'Michel Rocard'."
La visiteuse, qui a rencontré le héraut de la deuxième gauche en Israël l'année précédente, a une idée derrière la tête : lui donner un coup de main. Selon elle, elle ajoute à l'intention du chef de l'Etat : "Michel Rocard n'est pas l'homme que vous croyez. Il faut que vous le considériez comme un fils. Il ne se présentera pas contre vous, mais il doit être Premier ministre." A en croire cette version, Mitterrand aurait répondu : "C'est entendu, Evelyne, je vais le voir." Et selon elle, le président aurait reçu Rocard dès le lendemain ! Quoi qu'il en soit, réélu en 1988, Mitterrand nomme ce dernier à la tête du gouvernement, mais sans doute pas pour lui faire plaisir. Rocard confirme-t-il l'existence de cette singulière rencontre ? L'intéressé ne confirme ni n'infirme : "Je ne sais pas si c'est vrai. Si elle m'avait prévenu, je le lui aurais déconseillé." Rocard ajoute qu'en tout cas Evelyne Dassas "n'est pas une hâbleuse". Elle n'est pas du genre à fanfaronner. L'ancien directeur de cabinet de Rocard à Matignon, Jean-Paul Huchon, confirme, lui, les interventions d'Evelyne Dassas : "A une époque, Mitterrand et Rocard ne se parlaient pas, et Evelyne adorait jouer les intermédiaires." »
Un chantage contre Antoine Pinay
« Les procédés de basse police ne sont évidemment pas l'apanage des seuls gaullistes, mais ils en sont tout de même très friands. Au moment de l'élection présidentielle de 1965, Antoine Pinay, père du nouveau franc, ex-ministre des Finances de De Gaulle, est sollicité par une partie de la droite pro-européenne pour se présenter contre le Général. Il finira par renoncer. Pour quel motif ? Sylvie Guillaume, biographe du "sage de Saint-Chamond", a recueilli les confidences de l'un des collaborateurs de Pinay : "Il m'a expliqué que les gaullistes avaient menacé de sortir des dossiers impliquant Pinay dans des ballets roses." L'ancien président du Conseil était, effectivement, réputé aimer les très jeunes femmes. En fait de ballets roses, sa décision de ne pas se présenter aurait été liée au dépôt d'une main courante ayant trait à un attouchement sur mineur. A l'époque, la majorité était, il est vrai, fixée à 21 ans. Mais le scandale aurait pu être fatal. Une histoire que François Mitterrand, jamais avare sur le sujet, aimait également raconter à l'un de ses biographes, qui passait le voir à l'Elysée. De fait, Antoine Pinay, qui a vécu jusqu'à 103 ans, n'avait pas la seule obsession du redressement de l'économie française... "Un jour, il a disparu au moment de la signature d'un contrat important en Autriche, raconte un de ses conseillers. Il n'a pas pu être conclu." Un journaliste, qui déjeunait avec lui à l'Automobile Club, se souvient d'avoir vu son regard briller sur les formes avantageuses d'une serveuse. Jusqu'à un âge très avancé, l'argentier de l'Etat, qui avait une santé de fer, ne s'interdisait pas d'avoir la main baladeuse avec ses secrétaires. »
Les rg travaillent sur Cohn-Bendit
« Au fond, certains fonctionnaires des RG adorent faire ce travail peu glorieux. Ces - mauvaises - habitudes remontent à loin. Le 8 janvier 1968, le ministre de la Jeunesse, François Missoffe, inaugure la piscine de l'université de Nanterre. Depuis un an, sur le campus, les étudiants s'agitent, énervés que les filles ne puissent accéder aux dortoirs des garçons et vice versa. Un étudiant rouquin admoneste le ministre : "Pourquoi, dans votre livre blanc sur la jeunesse, n'avez-vous pas parlé des problèmes sexuels des jeunes ?" A l'insolent Missoffe répond que, s'il a des problèmes sexuels, il n'a qu'à plonger dans la piscine. Daniel Cohn-Bendit a 23 ans. Bientôt, "Dany" sera l'un des meneurs des événements de Mai. Déjà, les Renseignements généraux s'intéressent à lui. Futur patron des RG parisiens, Jean-Claude Bouchoux est affecté à la direction départementale des Hauts-de-Seine en mars 1968. Aussitôt, il se met à travailler sur la "contestation". Les couloirs de la préfecture bruissent d'une rumeur stupéfiante : "Sur place, les gens disaient que Daniel Cohn-Bendit sortait avec la fille de Missoffe." Le meneur flirtant avec la fille du ministre ! Selon le policier, "on les voyait beaucoup ensemble". Les RG font remonter l'information. Le journal d'extrême droite Minute s'en fait l'écho. A la fin mai, dans Le Nouvel Observateur, l'écrivain Jean Genet évoque cette rumeur dans un article intitulé "Les maîtresses de Lénine" [...].
L'épisode fait fantasmer. D'autant que la fille de François Missoffe a fait depuis carrière. Connue sous le nom de Françoise de Panafieu, elle a toujours démenti avoir flirté avec Cohn-Bendit. Pour ce dernier aussi, cette rumeur est "hallucinante" : "Je n'ai jamais rencontré la fille de Missoffe. Peut-être l'ai-je croisée sans savoir qui elle était dans un couloir, puisqu'on m'a dit qu'elle étudiait à Nanterre à l'époque. Mais rien d'autre, je vous assure." Cohn-Bendit, qui certifie n'avoir pas eu connaissance des bruits de couloir à l'époque et jure même avoir toujours cru que la rumeur était née bien plus tard, imagine que ceux qui l'ont lancée ou propagée ont joué du billard à trois bandes : "Missoffe n'était pas l'un des pires. Ce devait même être le genre de type à parler des problèmes de Nanterre avec sa fille à table. Alors, sans doute, des policiers qui avaient intérêt à nous nuire à tous les deux ont pu manigancer ça." »
Des politiques sous surveillance
« A la Brigade de répression du proxénétisme, les vieilles traditions ne se perdent pas tout à fait. Le "groupe cabarets" produit parfois des notes sur les personnalités perdues dans le monde de la nuit. Cette section, qui ne compte que six fonctionnaires, contrôle en permanence les cent cinquante bars à hôtesses et trente clubs échangistes de Paris. Chaque tournée fait l'objet d'un compte rendu quotidien. Au hasard de la nuit, les policières croisent un ancien ministre socialiste grimé dans une boîte échangiste. Une information consignée sur la main courante de la brigade. Au nom de quoi ? On se le demande. Les fonctionnaires recueillent aussi les confidences du patron d'un établissement libertin qui raconte que l'un de ses clients, un ténor de la gauche, a fait enlever toutes les banquettes pour installer des matelas à l'occasion de son anniversaire. Y a-t-il là de quoi mettre en péril la sécurité de l'Etat ? [...] Cependant, aujourd'hui encore, les affaires de moeurs pouvant atteindre des hommes politiques sont suivies de près par le pouvoir. Des enquêtes discrètes sont effectuées par les services de police judiciaire à Paris chargés des "affaires réservées" : "Officiellement, il s'agit d'éviter des pressions sur tel ou tel homme politique, raconte un commissaire. En fait, ce n'est qu'un prétexte pour connaître les faiblesses d'un éventuel adversaire." Les vieilles habitudes se perdent difficilement
le point 31/08/06 - N°1772 - Page 33 - 1645 mots
ou
je ne sais trop.