Joli dossier de l'Express.
Je vous copie le papier de Guetta, toujours parfait.
Je tiens le départ de Guetta, sûrement le meilleur journaliste français spécialisé dans les questions internationales, comme la première grande erreur stratégique du Monde. Depuis, le journal n'a cessé de se dégrader.
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L'Express du 21/03/2005
Tout menace le oui
L'Europe ne peut pas prendre quinze ans de retard face aux Etats-Unis et à la Chine
A part le camp du non, il n'y a pas plus consternant que le camp du oui. Chaque jour, les coups pleuvent contre le projet de Constitution. Tous marquent si bien l'opinion qu'un sondage vient de placer, pour la première fois, le non en tête. Alors même que l'on remanie le pacte de stabilité, beaucoup de Français sont désormais convaincus qu'on ne pourrait plus jamais modifier le traité constitutionnel si jamais il était ratifié. L'absolu mensonge selon lequel ce texte «graverait le libéralisme dans le marbre» s'est, parallèlement, imposé. Le oui recule.
Le non progresse. Ses partisans brandissent maintenant la directive Bolkestein, proposition qui n'a plus aucune chance d'être adoptée, comme preuve de la justesse de leur position. C'est aussi absurde que si l'on prenait prétexte, disons, du projet Fillon pour condamner la Constitution française, mais ça marche et, tout à leurs calculs présidentiels, les avocats du oui roupillent à leur banc, comme s'ils étaient commis d'office et se fichaient de leur client. Réveillez-les, secouez-les, montrez-leur ce dernier sondage, et ils vous répondent que «mais non! …», tout va bien, les Français sont maintenant acquis à l'idée européenne, qu'on n'en est plus à l'époque de Maastricht et que, d'ailleurs, le camp du non n'a pas de leader. Ah, bon?
Mais qui est alors celui du oui? François Bayrou écrit, à ce qu'on dit, des livres. François Hollande marche sur des œufs. Nicolas Sarkozy ne détesterait pas que son premier adversaire morde la poussière le 29 mai et ce même Jacques Chirac ne pourra pas se mettre trop en avant sans risquer de fédérer, contre la Constitution, tous les mécontentements de politique intérieure.
Tout menace le oui. Tout porte, à l'inverse, le non et d'abord, avant tout, ce sentiment qu'ont trop de Français qu'une bande de chauffards les conduit dans le mur sans leur avoir demandé leur avis, que des forces occultes veulent leur faire avaler de force un projet européen auquel ils ne comprennent plus rien, mais dont ils savent qu'il déterminera leur avenir.
Parti comme c'est, le non l'emportera. On ne peut plus l'ignorer. Il est temps de dire aux Français que l'Europe ne peut pas prendre quinze ans de retard supplémentaire, voire plus, face à la puissance américaine et à la montée de la Chine.
Il est temps de plaider ce projet non plus comme un pis-aller qu'il n'est pas, mais pour les avancées qu'il permettra.
Il est urgent d'expliquer, haut et fort, que l'Union a besoin d'un président à même de l'incarner, d'un ministre des Affaires étrangères à même d'exprimer ses convergences et de réduire ses divergences, de l'inscription de son modèle social - l'économie sociale de marché - dans sa Loi fondamentale, de la constitutionnalisation de sa Charte des droits fondamentaux et d'un Parlement dont la majorité élue puisse déterminer l'orientation de la Commission.
Il est plus que temps de marteler que c'est à ces besoins que ce projet répond, mais il sera bientôt, très bientôt, trop tard.
Bernard GUETTA