Retrouvé mon hommage à jpb. Saperlipopette, pourquoi n'est-il pas parmi nous ?
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jean-434 (jean-pierre bouvier) 15:21 01/10/04
je hais ces journées
raté rhodia hier pour 1 ct
ce matin pour 1 ct
raté le bas d'alten pour 1 ct
raté le bas de fte pour 1 ct!!!
vendu valtech apres 5 jours de garde avant que ça ne ça démarre
le mieux c'est que j'aille tondre:bon qu'à ça aujourd'hui!
allez salut!bon week-end et si vous mangez au restaurant grâce à moi ce
w-e,bon appétit:-))
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Chacun connaît le tableau fameux de Philippe de Champaigne : dans une «camera oscura», Jean-Pierre Bouvier, en robe de chambre, écrit son oeuvre. Tandis que plume crisse sur le parchemin sur son bureau, un crâne nous renvoie à la vanité de toutes choses. Au mur, des textes anciens consacrés à des figures mythologiques bien connues : Alten, Rhodia. Cette «Pénitence de Collioure» en dit autant sur l'écrivain que sur l'homme. A dire vrai : les deux se confondent. Car, l'oeuvre de Bouvier est d'abord le constat amer de l'existence misérable de l'homme. Il le voit plongé dans une affliction profonde, contraint dans sa condition, petit dans ses desseins, rongé par ses désirs. Tout échoue, tout est aveu d'une nullité intrinsèque et le désespoir gagne : « je hais ces journées ». Cioran, même, n'a jamais été plus sombre et le Feu follet de Drieu semble une plaisanterie. Comme d'autres avant lui (on songe, bien sûr, au Rousseau des Confessions), Bouvier nous fait entrer dans son inimité la plus profonde et partager son expérience personnelle, nous avoue ce que chacun, d'ordinaire, répugne à se dire in petto. Quel dénuement que celui de cet homme face à ses échecs successifs : «raté rhodia hier pour 1 ct (.), raté le bas d'alten pour 1 ct, raté le bas de fte pour 1 ct!!!». Le rythme ternaire (raté, raté, raté) rehaussé de 3 points d'exclamation a souvent été analysé comme une adresse à Dieu. Rien de plus faux : Bouvier se refuse à une spiritualité larmoyante sinon complaisante. En témoigne sa capacité à la dérision : «pour 1 ct!», qui évoque à chacun la lucidité désespérée de Swann : «tout ça pour une femme qui n'était même pas mon genre!»
D'ailleurs, l'homme ne manque pas d'ironie : en énonçant benoîtement «le
mieux c'est que j'aille tondre:bon qu'à ça aujourd'hui!», Bouvier se réfère directement à Voltaire qui fustigeait Leibnitz pour mieux inciter chacun à «cultiver son jardin». Y a-t-il là une contradiction ? Non, sans doute, car notre auteur n'ignore pas que Leibnitz, expert en mathématiques, est l'inventeur du calcul infinitésimal (Bouvier lui doit l'inspiration du centime désabusé). Et puis le pari pascalien peut et doit aussi être un pari humaniste : le drame existentiel qui ronge Bouvier n'est pas, ne peut pas être retranché du reste des hommes. S'il invite ceux-ci à la méditation, c'est qu'il sait ses tourments partagés - Montaigne, autre Bordelais fameux, professe la modestie universelle. Car l'ascèse n'est pas la panacée : l'adresse finale, invitation à la bonne chère et au repos dominical, déroute : est-ce joyeuseté rabelaisienne ? Est-ce, plutôt, le repas de noces d'Emma et Charles Bovary, annonce de temps incertains ? Là réside l'ambiguïté et la force de la pensée bouviériste : l'homme est universel, mais son destin individuel (en d'autres termes : ne crois qu'en toi).